LA CHRONIQUE DU RÊVE

Rêver. Toute une faune chamboulant les paysages du sommeil. Un monde à part. Inquiétant. Bizarre (au sens baudelairien du terme). Comment raconter un rêve sans pousser sa fiction dans les sombres limites du possible, des sentiments humains ? J’entends par possible des occurrences intérieures et extérieures dont on est, involontairement parfois, tributaires. Cette nuit j’ai rêvé que j’étais un énorme chien noir se baladant sans but dans la nuit de Vincennes. À l’aube j’avais du mal à quitter mon lit. Me rappeler si j’avais vu des gens la veille, appelé chez moi pour prendre des nouvelles, ou bu des bières avant de me replonger dans le fameux Mais leurs yeux dardaient sur Dieu de Zora Neale Hurston. Voilà une voix qui nous rappelle la vraie fonction de la littérature : renouveler la vie... L’énorme chien noir traversait la ville (ou ces quartiers à la recherche d’une ville) en long et en large sans s’arrêter, s’émerveiller devant le fantastique bâtiment de la Mairie par exemple. Dans le bois, non loin, se trouvaient d’autres races de chiens buvant, fumant, copulant, ça devait être le fun, mais je préférais marcher seul, tout en murmurant, j’aime pas les fleurs mais cela n’empêche qu’il y en a qui sont belles. Une ville endormie, morte, c’est magique, comme dans un film. Si vous avez été dans mon rêve vous comprendriez mieux ce que je raconte mal ici, vous pourriez aussi être déçus de me voir m’en aller à quatre pattes alors que j’étais là pour écrire et... C’était même pas une provocation ce rêve. Je n’avais aucun message à faire passer, besoin d’éprouver mon animalité. On s’excuse pas d’avoir rêvé. Y a-t-il une morale du rêve ? Des consignes pour un rêve ? Peut-on organiser son rêve de manière à ce qu’il soit plus ou moins digeste ? Un rêve qui met en difficulté, n’est-ce pas preuve qu’il est plus fort que toutes les explications qu’on pourrait lui donner ? Certains rêveurs ne meurent-ils pas parfois pour que leur rêve vive ? Jusqu’où l’homme peut-il aller dans son dépassement ? Je pose ces questions à Nietzsche. Quant à moi, un jour j’écrirai peut-être un livre sur la peur du monde de regarder ses ténèbres en face, de la liberté. Aujourd’hui encore dans beaucoup de pays, il y en a qui rêvent de pouvoir rêver librement, qui sont torturés, condamnés, morts, pour avoir osé le faire. Mon dernier livre, Maître-Minuit, est, entre autres, un témoignage de la violence et la pauvreté de l’interdit, du règne du même, l’individualisation même du hasard... J’ai fini par quitter mon lit. Les cris d’enfants en train de jouer sur la cour de l’école d’à côté se faisaient encore plus stridents. Je rêve aussi parfois de retrouver mon enfance et pouvoir jouer comme ça, librement, crier jusqu’à avoir mal au ventre. Regarder les avions, imaginer leur destination, et la vie que les passagers seront amenés à vivre là-bas. Aujourd’hui, je passe une bonne partie de ma vie dans les avions, à chaque fois je regarde en bas, comme pour croiser le regard du petit garçon que j’ai été et lui dire continue de rêver, laisse personne piétiner ton rêve. Après la récréation, reviendra le silence, glaçant, troublant, j’aurai l’impression de revenir au commencement du monde, tout se mettra à chercher sa vraie place dans ma tête. Si je connaissais quelqu’un dont le fils ou la fille allait à cette école, je l’aurais appelé. Pour remplir le silence ? Pour lui dire quoi ? Pour faire une blague pourrie (j’ai perdu pas mal d’amis à cause de ces blagues). Je lui dirais, il y a une minute j’entendais que la voix de ton gosse. - Ah ouais ! Pourtant il est à Marseille avec ses grands-parents. Bruit de téléphone raccroché.Finalement le rêve aura été la seule vie d’un écrivain

Makenzy Orcel