Traduction française

Je me suis souvent pris à méditer sur la mortalité et sur notre relation à la mort depuis que je suis ici en France. Cela n’est pas dû au fait que je sois particulièrement morose ou dépressif –je ne le crois pas l’être –  mais, cela s’enracine plutôt dans le sujet que j’ai été amené à aborder le plus fréquemment pendant ces quelques deux derniers mois, c’est-à-dire les conséquences de la colonisation européenne des Amériques, qui a été, et demeure un exemple à l’échelle du monde de ce qui se produit lorsque les massacres de peuples en masse sont traités soit comme quelque chose d’inévitable soit comme une nécessité. Pendant ces deux premiers mois de séjour, j’ai tenté de résoudre la question de savoir si les amis, voisins et lycéens que j’ai appris à connaître comprenaient cet acte, dans sa portée à la fois  historique et contemporaine, mieux que leurs homologues américains. (La réponse est, comme elle l’est chez moi, plus ou moins.) Mais ces dernières semaines, j’ai commencé à laisser ce sujet de côté. Et tandis qu’octobre laissait la place à novembre, je me suis mis à écouter et à observer la manière dont les Français, eux, comprennent et commémorent la mort, ce qui m’a permis deux expériences formatrices qui m’ont à la fois impressionné et quelque peu perturbé.

Le côté perturbant, ce fut les Catacombes. L’existence des catacombes ne me contrarie pas – de fait, quand une pandémie s’empare d’une ville sur une génération, il faut bien ensevelir les morts à la hâte et sans grande pompe. Pendant que je baissais la tête en traversant les salles, je pensais à ces camions réfrigérés qu’on avait garés près des hôpitaux il y a deux ans, et qui servaient de Limbes à ceux qui étaient morts du Covid, mais n’avaient nulle part où reposer tant les morgues débordaient. Les époques extrêmes mettent nos systèmes à l’épreuve et les dépassent, et il faut bien trouver des solutions même peu ragoûtantes. Je le comprends bien. Ce qui m’a contrarié dans les Catacombes, c’est qu’on peut aujourd’hui payer quinze euros pour s’ébaubir devant un rappel aussi radical de la mortalité et à la sortie déboucher dans une foutue boutique qui vous déballe tous les souvenirs en forme de crâne qu’on peut imaginer pour vous les vendre. Toute cette scène, c’est la mort transformée en objet marchand, et c’est une pensée écœurante. Une autre, plus agréable, serait que les portes d’accès à ces endroits s’écroulent et qu’ainsi les morts aient droit à un repos retrouvé.

Le côté impressionnant est advenu le jour de la Toussaint, quand ma compagne et moi avons visité le cimetière du Père Lachaise pendant l’après-midi. Cela a été un des moments les plus réconfortants que j’ai vécus ici en France, peut-être parce qu’il m’a paru si familier. Des familles et des amis rassemblés dans ces allées magnifiquement entretenues pour honorer et commémorer leurs êtres chers disparus. J’ai vu plus de sourires que de larmes ce jour là, et suis allé en haut d’une des nombreuses collines pour observer au-delà du paysage urbain ces rangées apparemment infinies de toits, dont le dessin parfait n’était brisé que par la flèche d’une cathédrale et par la grande Tour de cette ville. Nous avons visité la tombe d’Oscar Wilde et celle de mon concitoyen Jim Morrison, comme tous les touristes, mais nous avons aussi regardé celles de nombreux autres portés ici en terre. . À Brooklyn, où nous habitons tous les deux à présent, un de nos lieux préférés de tout New York est le cimetière Greenwood. Il n’est pas très différent du Père Lachaise, sauf qu’il est environ quatre fois plus grand. De son point culminant, on aperçoit, au-delà de son énorme porte d’entrée en pierre, le fleuve, où attendent la Statue de la Liberté et Lower Manhattan.  Mais nous y allons, étrangement, pour échapper à la ville ; pour trouver paix et contemplation parmi les nombreuses âmes qui reposent là. À tenter d’apprécier la somme immense de joies, de peines, de chagrins et d’amour qui ont empli l’espace entre les deux dates gravées sur chaque pierre. On ressent de la douleur là où les deux dates sont trop rapprochées et on est impressionné non sans un soupçon de jalousie pour celles qui s’étendent sur huit, neuf, dix décennies. On respecte le temps et l’espace qui leur ont été donnés, et notre seul espoir est qu’un jour quelqu’un passe devant la nôtre, qu’il sourie et qu’il dise « voilà une vie vécue». C’est cela, pour moi, que devraient nous permettre les lieux que nous réservons à l’exposition au public des morts. Ils ont vécu une vie et sont partis où que ce soit où ils croient qu’ils vont aller ensuite et leur corps devrait être libéré de ce désir capitaliste de faire du profit sur nos corps qui nous mine ici bas.

Je ne suis pas prêt d’oublier ma journée au Père Lachaise, ni d’oublier ces trois mois passés à Paris et à Vincennes. J’espère revenir, mais même si je n’ai jamais cette seconde chance, je sais en tout cas que pendant le temps où j’ai été là, ce fut une vie vécue, une vie bien vécue. Merci de m’avoir accueilli. Au revoir.

Nick Martin. Traduction : Dominique Chevallier

Texte original

I’ve found myself contemplating mortality and our relationship to death a good bit while here in France. This does not have anything to do with me being a particularly morose or depressed individual — at least I don’t think so — but rather finds its roots in the simple fact that much of what I have been tasked with speaking about in my two-plus months here has concerned the results of European colonization in the Americas, which was (and is) a global-scale example of what happens when the death of masses of people are treated as either an inevitability or a necessity. Through my first two months here, I kept trying to piece together whether the French friends, neighbors and students I came to know understood this act in both historical and contemporary terms any better than Americans do. (The answer here, as it is back home, is kind of.) But for the past few weeks, I began to set this study aside. Instead, as October turned to November, I started to listen and observe how the French understand and commemorate death themselves, leading to two formative experiences that left me impressed and a bit disturbed.

The disturbing bit was the Catacombs. It does not irk me that the catacombs exist – indeed, when a generational pandemic comes about in a city, the dead must be laid to rest with haste and little pomp. Ducking through the halls, I thought of the refrigerated trailers wheeled up to hospitals two years ago, used as a Limbo for those who had passed from Covid but had nowhere to go with the morgues overrun. Extreme times test and overwhelm our systems and less than savory means have to employed. I understand this. What irked me about the Catacombs is the fact that one can now pay fifteen Euros to gawk at such a stark reminder of mortality and then exit at a damn gift shop hawking every skull-shaped souvenir one can think of. The entire scene is death commodified, which is a sickening thought. A more pleasant one is that the entrances to these places should crumble and the dead would be allowed to lay at peace once again.

The impressive bit came on All Saints Day, when my partner and I visited Cimetière du Père Lachaise for the afternoon. It was among the more heartening moments I experienced here in France, perhaps because it felt the most familiar. Families and friends gathered at these magnificently manicured grounds to celebrate and remember their loved ones who have walked on. I saw more smiles than tears that day, and stood atop one of its many hills and peered out across the cityscape at the seemingly unending rows of building tops, the perfect pattern broken only by a cathedral spire and this city’s grand tower. We visited the resting site of Oscar Wilde and my country’s own Jim Morrison, like any tourists would, but we also looked at the many others who laid there, too. In Brooklyn, where the two of us live now, one of our favorite spots in the entirety of New York City is Greenwood Cemetery. It is not unlike Père Lachaise, save for the fact that it is about four times as large. From its highest peak, you can peer through its massive stone gates and out onto the river, where the Statue of Liberty and lower Manhattan await. But we go there, strangely enough, to escape the city; to find peace and contemplation amongst the many souls who rest there. You try to appreciate the immensity of joy and pain and heartbreak and love that filled the space between the two years carved into each stone. You feel the pain at the stones where the years are too close and feel impressed and a wisp of jealousy at the ones that stretch on for eight, nine, and ten decades. You respect their space and the time they had and hope only that one day someone will walk past your stone and smile and say, now that was a life lived. That, to me, is what the spaces we reserve for the public viewing of the deceased should allow us. They lived a life and passed on to whatever space they believe comes next and their bodies should be free from the capitalistic desire to profit off our bodies that plagues us in this realm.

I will not soon forget my day in Père Lachaise, nor will I soon forget these three months in Paris and Vincennes. I hope to be back, but even if I never get that second chance, then I know that for the time I was here, it was a life lived, and a life lived well. Thank you for welcoming me. Au revoir.

Nick Martin.