Traduction française

Le Festival America est déjà passé. Des dizaines de milliers de parisiens et de français ont fondu sur notre – est-ce que je peux déjà dire notre – jolie commune de Vincennes, tout ça pour l’amour de la littérature nord-américaine. Ce sentiment d’être là, en personne, pour la première fois, relevait à la fois du soulagement, de la libération, de l’exubérance et de l’extase. Pendant deux ans, nous avons été, à raison, enfermés dans notre coin, à faire de notre mieux, collectivement, pour dompter la propagation de ce fléau qu’est le COVID-19. Le sacrifice temporaire d’un festival littéraire ne compte pas pour beaucoup parmi les innombrables autres sacrifices qu’il a fallu faire au cours de ces trois dernières années. On peut vite considérer comme de peu d’importance de tels rassemblements lorsqu’on fait face à un phénomène générationnel de vie ou de mort, en particulier quand on vit dans un pays tel que les États-Unis, où l’on n’est pas seulement confronté au virus, mais aussi aux hommes politiques et à un grand nombre de citoyens qui ont choisi de considérer les enjeux de vie ou de mort comme de peu d’importance, voire comme inexistants, contribuant ainsi directement ou indirectement à la mort de nos voisins, amis et concitoyens – dont un nombre disproportionné d’amérindiens, de noirs, de latinos ou de pauvres et de sans abris.

Pour moi, le festival, tout comme le James Welch Native Literary Fest auquel j’ai pris part en juillet dernier, a fait l’effet, comme je l’ai dit plus haut, d’une libération. Non pas une lumière au bout du tunnel – selon toute vraisemblance le COVID n’en a pas encore fini avec nous – mais un instant où remonter respirer à la surface, où j’ai pu me remplir les poumons et les oreilles de l’air frais et des superbes sons produits par mes collègues écrivains réunis avec leurs lecteurs attentifs. Pas de salle d’attente Zoom. Pas d’émoji au pouce levé sans conviction. Simplement des vraies personnes qui font de leur mieux pour humaniser leur œuvre dans un pays qui n’est pas le leur. Si drôle que ce soit de rester bouche bée devant la file apparemment interminable de gens qui voulaient entendre parler Jonathan Franzen, ou si fascinant que ce soit de voir ma pièce « Douze indiens en colère » jouée par douze acteurs en colère non-indigènes (et spectaculaires), la beauté du festival s’est surtout révélée au moment de nos déjeuners ou de nos dîners, tard dans la nuit, quand les écrivains quittaient l’œil du public pour profiter d’un repas chaud et de la compagnie les uns des autres. Faire la connaissance d’écrivains que j’admirais et que je ne connaissais que de vue, entendre la façon dont leur cerveau fonctionnait et quels sujets les motivaient, mais aussi les comprendre simplement en tant que types tout aussi barges que moi, ou qu’introvertis ou que parents, cela a été un véritable cadeau.

Il y a aussi cette légère bizarrerie liée au fait que ce festival, par son thème « Amérique : les peuples premiers » a représenté un rassemblement d’écrivains et de cinéastes indigènes sur les terres où notre destruction a été planifiée et financée. Je ne suis toujours pas complètement sûr de pouvoir qualifier ce dont il s’est agi : pas tout-à-fait décolonisation, ni recolonisation, puisque les termes n’étaient pas entièrement les nôtres : contrairement au Festival James Welch, celui-ci n’était ni organisé, ni modéré par des concitoyens autochtones, mais par les merveilleux organisateurs du Festival America, qui méritent tous les éloges pour une manifestation qui fut un vrai succès.

Notre cohorte indigène était là pour explorer nos œuvres avec nos lecteurs, mais aussi pour faire un peu de travail éducatif – ce qui en soi est une position étrange, dans laquelle nous nous retrouvons fréquemment, peu importe sur quel continent. C’est quelque chose que j’ai encore du mal à saisir et qui me pose question. Comment se fait-il qu’une nation aussi centrale dans la colonisation et le génocide de peuples autochtones qui s’en est suivi que la France (la France ou l’Angleterre ou l’Espagne ou l’Amérique, etc) puisse oublier son passé et son  rôle encore actuel dans ces actes ? Et comment cela peut-il relever de notre responsabilité de le rappeler, que ce soit en en parlant directement ou au travers de l’expression artistique ?

Je connais la réponse – si ce n’est pas nous qui le disons, bien peu d’autres le feront –  mais je me trouve toujours à vouloir rejeter ce casse-tête ou m’en éloigner, sauf quand il s’agit de moments, comme ce festival, qui me rappellent, tandis que je fixe des centaines d’yeux et autant d’oreilles grandes ouvertes, que si les gens sont prêts à écouter, alors il nous faut vouloir parler, écrire, filmer, pour offrir ce rappel. Si la pandémie m’a appris quelque chose, c’est que d’être fermé aux autres est une façon bien plus terrifiante de vivre.

Nick Martin. Traduction : Dominique Chevallier

Texte original

Festival America has come and gone once again. Tens of thousands of French residents and Parisians descended upon our — can I say our yet? — lovely commune of Vincennes, all for the sake of North American literature. The feeling this in-person for the first time was one of relief and release, exuberance and ecstasy. For two years, we were, rightfully, locked away in our little corners, doing our collective best to tame the spread of the scourge that is COVID-19. The temporary sacrifice of a literary festival did not register high among the countless other sacrifices that were made over the last three years. Such gatherings can quickly be framed as trivial when faced with a generational life-or-death phenomenon, particularly when you live in a country like the United States, where you’re not only faced with the virus, but politicians and large swaths of the citizenry that opted to treat the life-or-death stakes themself as trivial or nonexistent, directly or indirectly aiding in the death of our neighbors and friends and fellow citizens — disproportionately those who were Native, Black, Latino, or poor or unhoused.

For myself, the festival, much like the James Welch Native Literary Fest I attended in late July stateside, served as one of these aforementioned releases. Not a light at the end of the tunnel – by all accounts, COVID is not yet done with us – but a moment to come up for air, to fill my lungs and ears with the fresh air and beautiful sounds of fellow writers coming together with engaged readers. No Zoom waiting rooms. No half-hearted thumbs-up emojis. Just real people doing their best to humanize their works in a country that was not their own. As much fun as it was to gawk at the seemingly endless line to hear Jonathan Franzen talk, or as enthralling as it was to see my play, “Twelve Angry Indians” performed by twelve angry (and spectacular) non-Native actors, the beauty of the festival came during our lunch sessions and late-night dinners, where the writers stepped out of the public eye to enjoy a warm meal and one another’s company. Getting to know writers I admired and only knew in passing, to hear how their brains tick and what material is driving them but also understand them as just fellow weirdos and introverts and parents, was a gift.

There was also the slight bizarreness of the fact that this festival, through its America, First Peoples program, signaled a coming together of Indigenous writers and filmmakers on the lands where our destruction was planned and funded. I’m still not quite sure how to term what it truly was – not quite decolonization or recolonization, as the terms weren’t entirely our own; unlike the James Welch festival, this wasn’t organized or moderated by fellow Natives, but by the wonderful Festival America organizers, who deserve all the praise for this being a successful run of show. Our Indigenous cohort was here to explore our work with readers, but also to do a bit of educating, too – which itself is an odd position, one we find ourselves in frequently regardless of what continent we are on. It’s something I still struggle and grapple with. How is it that a nation as integral to the colonization and subsequent genocide of Native peoples as France (or England, or Spain, or America, etcetera) could forget its past and ongoing role in these acts? And how can it be our responsibility to offer that reminder, be it through direct language or artistic expression?

I know the answer —without us saying it, very few would — but I still often find myself wanting to reject or step away entirely from this conundrum, save for the pockets in time, like this festival, where I am reminded, as I stare out at a room of a hundred open eyes and twice as many open ears, that if people are willing to listen, then we must be willing to speak, to write, to film, to offer that reminder. If the pandemic taught me anything, it’s that being shut off from one another is a far more terrifying way to live.

Nick Martin.