Gens Importants

J’ai été invité à prendre le petit-déjeuner avec M. le maire dans son bureau. Tu ne seras pas surprise d’apprendre, Vincennes, que ton maire se réveille considérablement plus tôt que ton écrivain en résidence. Je me suis demandé comment m’habiller et me suis retrouvé en pantalon rouge, chemise blanche et cardigan bleu. C’est en me regardant dans le miroir que je me suis rendu compte que j’avais choisi les couleurs patriotiques de nos deux pays. J’en étais gêné (mon inconscient est-il à ce point conservateur ?) mais il était trop tard pour que je me change. Je ne connais rien au paysage politique de Vincennes – s’il s’était agi du maire de ma ville, je serai arrivé muni d’une liste de "questions urgentes à régler", comme on dit, et j’aurais insisté encore et encore – mais je suis invité dans cette jolie ville. Et puis, l’honneur qui m’était fait m’a intimidé ; je n’ai pas beaucoup parlé. Le bureau du maire est élégant et accueillant. Le petit déjeuner se composait de café et de viennoiseries, dont personne ne s’est servi, à part moi. J’ai passé le plus clair de mon temps à m’interroger sur la nature de la séduction en politique, car votre maire m’a en effet séduit : quand il écoutait je me sentais écouté, et quand il souriait, j’avais l’impression d’être couronné de succès. Nous avons un peu discuté littérature française, et je lui ai demandé quel était son auteur préféré. Cette fois, le sourire que j’obtins était quelque peu différent, légèrement réservé, comme si j’avais posé une question taquine, et tandis qu’il réfléchissait, il m’est venu à l’esprit qu’il s’agissait peut-être d’une question délicate à poser à un homme politique. Il a parlé de Victor Hugo – un grand, sans l’ombre d’un doute, et un choix sans risque – puis, en fin politique, et en toute séduction, il a fait basculer le centre de l’attention à nouveau sur moi en suggérant un auteur dont je n’avais jamais entendu parler. "Mais peut-être prendriez-vous plaisir à lire George Pérec ."

Gens Importants 2

George Pérec, qu’à présent j’aime énormément.

Gens Importants 3

J’ai cru que j’avais une crise cardiaque. Je me suis réveillé dans la nuit, avec un poids insupportable dans la poitrine. Je me suis habillé pour aller à l’hôpital – mais c’était le milieu de la nuit, et je ne parle pas français. Qui plus est, je suis plutôt jeune et plutôt en bonne santé. Internet m’a informé qu’il s’agissait sans doute de brûlures d’estomac, alors je me suis déshabillé et j’ai essayé de me rendormir, mais impossible de dormir quand on croit être en pleine crise cardiaque. Le lendemain matin et l’après-midi aussi, ce poids était toujours là, implacable. Je suis allé chez le médecin. Je suis très heureux d’avoir consulté un docteur à Vincennes, car cela m’a permis d’avoir un aperçu des rites de la vie en France à côté desquels je serais passé, si cela n’avait pas été le cas. Le cabinet du docteur était encombré d’accessoires médicaux, et donnait cette impression d’être habité ;  les livres et les papiers envahissaient le vieux bureau en bois derrière lequel était assis le docteur. Rien à voir avec le côté froid, dur et stérile des cliniques américaines. C’est-à-dire, ce cabinet était personnalisé, c’était le reflet d’un être humain singulier, un médecin, et j’ai trouvé cela incroyablement rassurant. Le docteur lui-même fut efficace : brûlures d’estomac. Il m’a prescrit des médicaments. Le poids est resté là pendant plus d’une semaine, et il revient de temps en temps. Je dois faire très attention à ce que je mange. Je suppose que c’est idiot, mais je me suis toujours très vite remis de la maladie, de soirées trop arrosées ou de quelque autre excès que j’ai pu infliger à mon corps, et un côté naïf et puéril chez moi a toujours considéré la santé et la jeunesse comme allant de soi. Soudain, il m’apparaît, à trente-cinq ans, que la jeunesse est passée, et que je suis seul gardien de ce corps qui vieillit.

Gens Importants 4

On m’a invité à la médiathèque, pour un entretien avec la bibliothécaire madame Agnès Denis. Vous étiez nombreux présents, dans le public. Les questions étaient très intelligentes, et je crois que Mme Denis et moi nous sommes bien entendus, c’est-à-dire, je crois que je me suis fait une amie. Nous avons prévu d’aller ensemble au musée. J’ai aussi découvert à quel point les vincennois sont gentils ! Vous vous souvenez peut-être que dans ma première chronique je suggérais que quelqu’un pourrait m’apprendre à faire le cassoulet – eh bien, après notre conversation, plusieurs dans l’assistance se sont approchés pour discuter avec moi, et j’ai reçu pas moins de trois invitations à dîner chez eux, pour y manger un cassoulet maison. J’ai accepté chacune d’entre elles. Bien entendu, j’étais tellement flatté et touché que je n’ai pas eu le cœur de leur parler de mes soucis d’estomac, ni de leur dire que le médecin m’avait interdit des nourritures aussi riches.

Gens Importants 5

On m’a informé que ma précédente chronique était trop longue (pas franchement ce qu’un écrivain rêve d’avoir comme retour, mais je comprends), et donc, je dois faire court. Mais comment pourrais-je passer sous silence mon interprète et ange gardien, qui était à mes côtés dans le bureau du Maire, chez le Médecin, à la Médiathèque et sans qui je serais perdu ? Madame Dominique Chevallier. J’aime à l’imaginer qui rougit en traduisant ce texte même que vous avez sous les yeux.

Traduction : Dominique Chevallier

English text

Important People

I was invited to have breakfast with the mayor in his office. You won’t be surprised to learn, Vincennes, that your mayor wakes up considerably earlier than does your visiting writer. I worried over what to wear and somehow ended up in red pants, a white shirt, and a blue button-up sweater. Looking in the mirror, I realized I’d chosen the patriotic colors of both our countries. I felt embarrassed by this (is my unconscious so conservative?) but it was too late to change. I know nothing about the political landscape of Vincennes—had it been my own mayor, I would have arrived with a list of “pressing issues,” as we say, and pressed and pressed—but I am a guest in this lovely city. Besides that, I was made shy by the honor; I didn’t say much. The mayor’s office is stylish and inviting. Breakfast was coffee and pastries, which no one ate—no one except me. I mostly spent the time thinking about the nature of political charm, because I was rather charmed by your mayor, when he listened I felt listened to, and when he smiled I felt quite successful. We talked a little about French literature, and I asked, who was his favorite author? This time I got a different kind of smile, slightly coy, as if I asked something mischievous, and as he paused to think it over, I realized this was perhaps a tricky question to put to a politician. He spoke of Victor Hugo—undeniably great, a safe choice—but then politically, charmingly, pivoted the focus back to me, suggesting an author I’d never heard of. “You, however, might enjoy Georges Perec .”

Important People 2

Georges Perec, whom I now love.

Important People 3

I thought I was having a heart attack. I woke in the night with a pressure in my chest, unbearable. I dressed to go to the hospital—but it was the middle of the night, and I don’t speak French. Besides I am young-ish, and healthy-ish. The Internet informed me that it was probably just heartburn, so I undressed and tried to sleep, but sleep is impossible when you think you are having a heart attack. All through the next morning and into the afternoon, the pressure was still there, unceasing. I went to the doctor. I am very glad to have gone to the doctor in Vincennes, allowing me a peek into the rituals of French life I might not otherwise see. The doctor’s office was slightly cluttered with medical accoutrement, and very much lived in, with books and papers crowding the doctor, who sat behind an old wooden desk. Not at all like the cold and hard anonymous sterility of American clinics.  That is to say, this office was personalized, the reflection of a singular human, a man of medicine, and this I found incredibly reassuring. The doctor himself was efficient — heartburn. He prescribed me some medication. The pressure lasted for over a week and still comes and goes. I have to pay very close attention to what I eat. I suppose it’s silly, but I’ve always bounced back quickly from illness, over-drinking, or whatever other abuse I did to my body, and some naïve, childish part of me took health, and youth, for granted. Suddenly it occurs to me, at 35, that youth is done, and that I alone am caretaker of this aging body.

Important People 4

I was invited to the library, for a conversation with the librarian, Ms. Agnes Denis. Many of you were there, in the audience. The questions were very smart, and I think Ms. Denis and I liked each other, that is, I think I made a friend. We made a plan to go to a museum together. I also discovered how kind are Vincennians ! You might remember in my last chronicle, I suggested that someone might teach me how to make cassoulet—well, after our interview, a number of the audience came up to speak with me, and I had no less than three invitations to a dinner of homemade cassoulet. I accepted each one. Of course, I was so flattered and so touched, that I didn’t have the heart to tell them about my new stomach problems, or that the doctor has forbidden me such fatty food. Important People 5

I have been informed that my last chronicle was too long (not exactly the kind of feedback a writer dreams of, but I understand) and so I must be brief here. But how could I not mention my interpreter and guardian angel, who has been by my side at the Mayor’s office and Doctor’s office and Library, and whom I would be lost without? Madame Dominique Chevallier. I like to think her blushing as she translates this very text !