De la lecture

Un des avantages – auquel je ne m’attendais pas –  à vivre trois mois en résidence, est que j’ai pu lire une quantité considérable de livres. Avant de venir en France, j’ai passé un été très chargé comme guide de pêche au Montana. J’aime énormément cette activité, mais il n’en reste pas moins qu’elle vous accapare complètement. Ça commence tôt le matin, les journées sont longues et quand le soir arrive, je suis en général si fatigué qu’à part boire une bière ou deux je suis incapable de rien faire d’autre que d’aller me coucher. Inutile de dire que pendant les mois d’été, je n’écris pas beaucoup. Je ne lis pas beaucoup non plus et cela me manque.

Depuis que je suis à Vincennes, je rattrape le temps perdu, à lire des livres en attente depuis un certain temps, et à découvrir de nouveaux auteurs. Mon séjour ici implique la fréquentation des "gens du livre" : libraires, propriétaires de librairies, éditeurs, auteurs, etc. J’ai l’impression qu’à chacune des rencontres auxquelles je participe, les recommandations de lecture fusent de toutes parts. Les gens qui aiment les livres n’hésitent jamais à conseiller leurs coups de cœur et je fais l’effort de noter ces suggestions, parce que je me suis rendu compte que c’était le meilleur moyen d’avoir un contact avec des auteurs sur lesquels je ne serais sinon peut-être jamais tombé. D’une certaine manière, le fait d’écrire a changé mon rapport à la lecture. Quand j’étais plus jeune, que je ne m’étais pas encore sérieusement mis à l’écriture, je lisais avec voracité, sans faire le tri. Je ramassais simplement ce qui me tombait sous la main à la maison. Nous n’avions pas la télévision et mes parents m’ont encouragé à lire dès mon plus jeune âge, ce dont je leur suis vraiment reconnaissant aujourd’hui. J’ai été élevé dans une maison pleine de livres. Les gens me demandent souvent comment je suis venu à l’écriture et je réponds toujours que c’était simplement parce que j’aimais lire. Je crois que c’est probablement le cas pour la plupart des écrivains. Je ne vois pas comment on peut devenir écrivain sans avoir d’abord beaucoup lu. C’est un peu comme le lien entre faire la cuisine et manger. Si l’on aime vraiment manger, alors, à un moment ou à un autre, il paraîtra naturel de vouloir apprendre à cuisiner. De la même manière, si on aime lire, alors, tôt ou tard, on ressentira le besoin de créer ce que l’on consomme. Je me rends compte que ce que j’écris influe sur le genre de livres que je lis. Par exemple, je passe beaucoup de temps à écrire de la fiction, et cela m’entraîne de plus en plus à lire des œuvres non romanesques. Cette séparation des genres entre ce que j’écris et ce que je lis m’est parfois bien utile. Il est toujours tentant, même si j’essaie de l’éviter, de comparer ce sur quoi je travaille avec ce que je lis. Et il peut se révéler très décourageant de lire un roman formidable alors qu’on peine laborieusement sur un essai pas du tout formidable d’écriture de roman. Ce réflexe de comparaison est un des inconvénients majeurs du métier d’écrivain. Quand on ne fait pas partie du secteur de la création littéraire, il est plus facile de simplement aimer la littérature pour ce qu’elle est, et de ne pas la voir au travers du prisme de l’autocritique ou de la compétition. Avant d’être écrivain, je prenais beaucoup plus de plaisir à lire. Ceci dit, mon séjour ici à Vincennes a contribué à raviver ma passion pour la lecture. Cette résidence m’a offert de vastes plages de temps pour moi sans trop de distractions extérieures. Le temps pluvieux de ces derniers jours, ainsi que mon incapacité fondamentale à parler la langue des gens qui m’entourent m’ont permis d’énormément apprécier de passer de bons moments dans mon appartement, le nez plongé dans un livre.Voici un choix de quelques livres lus récemment que je recommande.

Bonne lecture !

Par Dessus le Bord du Monde , de Tim Winton. Roman fantastique, situé dans les contrées sauvages d’Australie. Beaucoup d’action et de suspense avec en arrière-plan une bonne vieille histoire d’amour, sans parler des descriptions de la nature d’une beauté incroyable. Le Diable tout le Temps de Donald Ray Pollock. Roman extrêmement sombre qui suit une série de personnages déglingués aux marges de la société dans le Midwest américain du début des années 60. Aussi horrifiant que captivant : je l’ai lu en un ou deux jours sans pouvoir m’arrêter. Retourner dans l’Obscure Vallée , de Santiago Gamboa. C’est un gros roman de grande envergure qui se déroule dans divers lieux d’Amérique du Sud et d’Europe. Une saga passionnante écrite par un écrivain colombien prometteur. Les comparaisons avec Cent Ans de Solitude de García Marquez sont justifiées.

Traduction : Dominique Chevallier

English text

On Reading

One of the unexpected benefits of spending three months at a residency is that I’ve been able to do a tremendous amount of reading. Before I came to France I spent an extremely busy summer fishing guiding in Montana. Fishing guiding is a job that I enjoy, however it tends to be all-encompassing. We start early in the morning, the days are long and when they’re over I’m usually too tired to do much other than have a beer or two and go to bed. Needless to say, during the summer months I don’t do much writing. I don’t read much either and this is something I miss.

Since I’ve been in Vincennes I’ve been making up for lost time, reading some books I’ve been meaning to read for a while, as well as discovering some new authors. My time here has involved a great deal of interaction with "book people"—book sellers, bookstore owners, editors authors, etc. It seems that at every event I attend book recommendations are volleyed about. People that love books are never hesitant to suggest their favorites and I make an effort to write these suggestions down, because I find this is the best way to get exposure to authors you might never have come across otherwise.

In some ways writing has changed my relationship with reading. When I was younger, not writing seriously yet, I read voraciously and fairly indiscriminately. I would just pick up whatever was lying around the house. We never had a television and my parents encouraged me to read from a young age, something I’m very appreciative of now. I was raised in a house full of books. People often ask me how I got started writing, and I always tell them it was simply because I enjoyed reading. I think this is probably the case with most writers. I’m not sure how one could become a writer without having first done a lot of reading. It seems sort of like the relationship between cooking and eating. If you really like to eat, then at some point it seems natural to want to learn to cook. Similarly, if you enjoy reading, then eventually you will feel the urge to create that which you consume.

I find that what I’m writing has some effect on the sorts of books I read. For example, I spend much of my time writing fiction, and more and more this leads me to enjoy reading nonfiction. Having a genre separation between what I’m reading and what I’m writing can be helpful. It’s something I try to avoid but it’s always tempting to compare what I’m working on with what I’m reading. This can be quite disheartening, for instance, reading a great novel while you’re slogging away unproductively on your definitely not-so-great novel attempt. This impulse to compare is one of the major downsides to being a writer. If you’re not in the business of creating literature it’s easier to just enjoy literature for what is, and not see it through a competitive or self-critical lens. Before I was a writer I definitely enjoyed reading more. That being said, my time here in Vincennes has done something to rekindle my passion for reading. This residency has afforded me large blocks of time to myself without too many distractions. The recent rainy weather, coupled with my basic inability to speak the language of the people around me, has made it quite enjoyable for me to spend some quality time  alone in my apartment with my nose in a book. Here are a few recent selections that I’d recommend.

Happy reading !

Dirt Music by Tim Winton.  A fantastic novel set in rugged parts of Australia. A substantial amount of suspense and action underpinned by a good old love story, not to mention tremendously beautiful depictions of nature. The Devil All the Time by Donald Ray Pollock. An extremely dark novel that follows a ragged group of characters on the margins of society in middle America in the early 60’s. Equal parts horrifying and captivating, I read it compulsively in one or two sittings. Return to The Dark Valley by Santiago Gamboa. This is a large, wide ranging novel set in various places across Latin America and Europe. A gripping saga by an up-and-coming Colombian writer. Comparisons to Marquez’s One Hundred Years of Solitude are justified.

Callan Wink