Pas besoin de consulter un écrivain professionnel pour savoir qu’ici à Vincennes, il a plu.

Les nuages chargés de pluie se sont installés au dessus de la ville et il paraît hydrologiquement invraisemblable qu’en une semaine entière d’hystérie incessante ils ne se soient pas entièrement vidés. Mes concitoyens vincennois ont trouvé qu’il faisait un temps de chien, mais moi, cela me plaît bien. Cette année, j’ai passé trop de temps à courir d’un avion à l’autre et trop peu de temps à mon clavier. La nourriture la plus précieuse de l’écrivain est la solitude. Voilà pourquoi je suis reconnaissant de cette excuse pour m’enfermer à la maison, à passer des journées entières sans prononcer un mot à voix haute, à me repaître de cette solitude féconde.

Ceci dit, j’ai de la compagnie. Derrière mon appartement, il y a une école où d’après moi, on donne aux enfants des cours intensifs dans l’art du hurlement. À partir d’environ huit heures et demi le matin et jusqu’à la fin de l’après midi, ils s’époumonent continûment. De temps en temps, ils fatiguent et le vacarme s’atténue un moment, mais alors, un chef d’orchestre invisible agite sa baguette et les glapissements reprennent de plus belle. Je suis heureux de vivre à portée d’oreille de cette école étrange. Les cris me sont un susurrement réconfortant, comme le bruit de la mer. Cela m’inspire ; j’essaie d’apporter autant d’engagement dans mon écriture que les enfants en mettent à hurler. Quand les braillements commencent, je sais qu’il est temps que je m’installe à mon bureau.

Un samedi après midi, je me promène en direction de l’Hôtel de ville, et sur l’esplanade, à l’arrière, encerclée de barrières métalliques, se trouve la plus jolie pelleteuse que j’ai jamais vue. Elle est d’un rouge éclatant, et ses vitres sont en verre réfléchissant. Elle a, par son côté stylé, l’air d’avoir été conçue pour servir de joyeux ornement. Une douzaine de personnes se tiennent près des barrières, et observent la machine d’un air de curiosité admirative. L’Adoration du Tracteur est apparemment un rite dominical important dans ce village, assez signifiant pour mériter que les Vincennois acceptent d’être trempés par une précoce averse automnale.

Le spectacle se fait encore plus remarquable quand apparaît dans le cercle un homme aux cheveux argentés vêtu d’une chemise blanche élégante, de gants et d’un pantalon noir. Une amie m’informe qu’il est là pour danser avec le tracteur, grâce que de toute évidence les Français offrent à leurs machines à déterrer, le week-end après midi. Ce qui se produit ensuite est un spectacle d’une tendresse qui défie la mort et d’une formidable beauté. La machine soulève le danseur haut dans les airs et le brandit fièrement et amoureusement. Elle fait la coquette, et la révérence. Le tracteur effleure le crâne du danseur de sa pelle et le protège de l’averse. Nous sommes tous – enfants, adolescents, adultes à la quarantaine revenus de tout – frappés de stupeur par cette chorégraphie. Je trouve cela touchant et révélateur de me tenir au milieu de gens qui considèrent que se mouiller les pieds n’est pas cher payer pour quelques dizaines de minutes d’étrangeté étonnante.

Bon, si vous avez rencontré beaucoup d’Américains en voyage en France, vous avez remarqué cette habitude que nous avons de nous excuser d’être d’épouvantables philistins. Ne vous faites pas avoir. Il s’agit uniquement de vous distraire et de vous désarmer tandis que nous construisons un McDo sur votre pelouse. Mais je crois utile de rapporter que dans la plupart des villes américaines, si un homme se mettait à danser avec un tracteur sur un terrain municipal, il se ferait insulter par des quidams et arrêter pour corruption de la morale publique.

Non pas que dans nos États-Unis on n’adore pas les machines. Certaines personnes, dans l’État d’où je viens, la Caroline du Nord, viennent justement cette semaine de voter une loi qui interdit à la police de détruire les armes à feu saisies sur des criminels. Je comprends l’intention cachée derrière cette législation. Nous vivons une époque de solitude et si l’on a la chance de trouver l’amour, il s’agit de le protéger, d’éviter qu’on lui fasse du mal, même si l’objet de notre amour est un appareil qui fait des trous dans d’autres êtres humains. C’est ainsi que déjà, Vincennes me donne toutes sortes de bonnes idées pour l’amélioration du pays où je suis né. J’ai l’intention d’écrire immédiatement à mon député en suggérant un amendement à notre loi la plus récente : si quelqu’un veut sauver de la casse la Kalachnikov d’un gangster, il doit d’abord lui faire faire un petit tour de valse devant la mairie sous les yeux de ses voisins.

Traduction : Dominique Chevallier

English text

You need not consult a professional writer to know that it has been raining here in Vincennes. The rain clouds have stalled over the city, and it seems a hydrological impossibility that in a solid week of unremitting hysterics, they have not wrung themselves out. My fellow citizens have found the weather grim, but I am very pleased with it. This year, I have been on too many planes and spent too little time at my keyboard. A writer's most precious nutrient is solitude. So I have been grateful for an excuse to shut myself indoors, passing days without uttering a word aloud, gorging myself on productive loneliness.

I do have some company. Behind my apartment is an academy where, as far as I can tell, children are given intensive instruction in the art of shrieking. From about eight-thirty in the morning until late in the afternoon, they keep up a consistent caterwauling. Every now and again, they exhaust themselves and the din flags for a moment, but then an unseen conductor waves a baton and the howling redoubles. I am glad to live within earshot of this unusual school. The screaming is a soothing susurrus, like the voice of the sea. I find it inspiring. I am trying to bring to my writing the same degree of commitment the children bring to their howling. When the shrieking starts, I know it is time for me to be at my desk.

On a Saturday afternoon, I stroll down to the Hôtel de Ville, and in the plaza behind, enclosed by a ring of metal cordons is the prettiest front-end loader that I have ever seen. It is bright red with windows of mirrored glass. It seems, in its stylishness, to have been designed for a cheerful, ornamental purpose. Some dozens of people stand at the cordons, watching the machine with a curious reverence. The Adoration of the Tractor is apparently an important Sunday rite in this village, one with sufficient meaning to the people of Vincennes to merit a drenching with early autumn rain.

The spectacle grows more remarkable with the appearance in the ring of a silver-haired man dressed in a smart white shirt, gloves and black trousers. A friend informs me that he is here to dance with the tractor, a graciousness to which the French people evidently treat their earth-moving equipment of a weekend afternoon. What then takes place is a scene of death defying tenderness and considerable beauty. The machine hoists the dancer high into the air and brandishes him in a proud and loving way. It coquettes and curtsies. The tractor nuzzles the dancer's skull with its soil bucket and shields him from the downpour. We are all of us—children, teenagers, jaded folk in our middle years—transfixed by this choreography. I find it moving and affirming to be among a people who consider wet feet a small price to pay for a few dozen minutes of strange astonishment.

Now, if you have met many Americans abroad in France you have noticed our habit of apologizing for what awful philistines we are. Do not be taken in. This is only to disarm and distract you while we build a McDonald's on your lawn. But I think it bears reporting that in most American cities, if a man were to dance with a tractor on the town commons he would be yelled at by louts and arrested for corrupting the public morals.

This is not to say that in our United States we do not adore machines. Certain people in my home state of North Carolina have just this week passed a law making it illegal for police to destroy guns seized from criminals. I understand the motive behind this legislation. Ours is a lonely age and if we are lucky enough to find love we must keep it safe from harm, even if the thing we love is a device for making holes in other human beings. So already, Vincennes is giving me all sorts of good ideas for the improvement of my motherland. I intend to write immediately to my home-district representative proposing an amendment to our latest law: if someone wants to save a gangster's AK-47 from the scrapheap, he must first take it for a waltz in front of city hall with his neighbors looking on.