Dans son discours de réception du prix Nobel de littérature, qu’un de vos compatriotes, Patrick Modiano, vient d’ailleurs de recevoir, Ernest Hemingway dit : "La vie d’un écrivain, en mettant les choses au mieux, est une vie solitaire. […] Son importance grandit aux yeux du public lorsqu’il renonce à sa solitude, mais souvent son œuvre en souffre. Car il œuvre dans la solitude et, s’il est assez bon écrivain pour cela, il doit chaque jour affronter l’éternité, ou son absence" (1954, traduction de Roger Asselineau). Je ne suis pas Hemingway. Je ne serai jamais Hemingway. Hemingway appartient à cette famille d’écrivains dont font également partie Beckett, Yourcenar, Tolstoï, pour n’en nommer que quelques-uns ; ces écrivains dont le nom de famille, inventé ou réel, n’a pas besoin d’un prénom pour que surgissent à sa suite un univers, une œuvre, un pays littéraire. Mais Ernest Hemingway a raison, l’écriture n’est pas un sport d’équipe.

J’écris et je retravaille mes romans dans la solitude, mais cette sauvagerie "de travail" ne m’empêche pas d’aimer, quand la chance est de mon côté, et de voir mes proches. En revanche, lorsque le roman est en gestation, avant sa mise en chantier et sa naissance progressive en chapitres, je vais vers l’autre. Je voyage ; j’ouvre une porte, je vais derrière le mur du secret, je pose mille questions à mes interlocuteurs (la curiosité est la première qualité des gens qui cherchent), j’enquête, je quitte l’inconfortable chaise de travail qui est la mienne à Montréal, je note tout dans mon moleskine : j’ai besoin de l’autre. Les anglophones ont forgé une belle expression pour décrire ce moment, gouverné par le hasard, qui donnera lieu à une découverte inattendue et formidable comme la pénicilline ou, tiens, la bêtise de Cambrai : serendipity. La "sérendipité", c’est découvrir par accident ce qu’on ne cherchait pas : tomber sur un spinelle rose alors qu’on cherchait un rubis, puis faire de cette découverte tout un roman.

Je suis arrivée à Vincennes le 29 août avec le plan de mon troisième roman sur le bureau de mon ordinateur, des notes de lecture et une liste de films et de livres à analyser. Guidée par le hasard, qui portait le 20 septembre dernier le nom de "Journées européennes du patrimoine", j’ai visité les coulisses des archives de la Défense au château de Vincennes. J’ai découvert ce jour-là, grâce au formidable jeune homme qui accompagnait notre petit groupe de curieux, que je pouvais, même si je ne suis pas française, emprunter cette autoroute d’archives où se trouvent quelques pierres blanches, des documents dont la consultation me permettrait d’étoffer le personnage masculin principal de Roman 3 (mon roman portera bien sûr un autre titre…). Je ne sais pas si on m’autorisera à consulter ces documents, cela ne dépend pas de moi mais  des lois ; je le saurai dans les prochaines semaines, à mon retour d’Irlande.

Je m’envole dans quelques jours pour le pays de mes ancêtres Doyle. Je n’ai jamais mis les pieds au Royaume-Uni et je n’ai jamais foulé le sol de la république d’Irlande. J’irai à Belfast, pour mon roman, et ensuite à Dublin, pour l’histoire familiale, complexe comme tous les récits familiaux, mais singulière dans la mesure où mes ancêtres ont tous fui un pays où la vie n’était plus possible pour eux : l’Irlande au milieu du XIXe siècle, famine ; la France à la fin du XVIIe siècle, famine. C’est un voyage de recherche et un pèlerinage sur cette île, qui pourrait bien être la mienne, que j’entreprendrai dans quelques jours ; une plongée en moi, en soi, et un retour aux sources dont même mes parents ignorent presque tout.

Je ne sais pas ce que je vais trouver en Irlande. Je sais ce que je cherche, j’ai dressé une liste des lieux que je dois visiter pour mon roman, mais pour ce voyage je fais à nouveau appel au hasard, sérendipité oblige, qui sera mon guide dans l’île d’Irlande.

PERRINE LEBLANC

P.-S. : C’est l’été des Indiens au Québec. En France, vous dites "l’été indien", mais chez moi on dit "l’été des Indiens" !

Chronique parue dans le numéro de novembre 2014 de Vincennes info