Très jeune, j’ai pris l’habitude d’écrire la nuit. L’après-minuit, c’était l’heure des chats, mon heure aussi, car c’était le seul moment de la journée où régnaient le calme et le silence.

Dire silence, dans les Caraïbes, c’est comme parler une langue étrangère. Seule la nuit avancée avait ce privilège. Tout le monde dormait à la maison, on n’entendait pas la musique des voisins dans l’immeuble, personne ne criait dans les rues, les klaxons des voitures ne résonnaient pas. L’après-minuit était l’un de ces rares laps de temps pendant lesquels la ville semblait autre. Elle était figée. Muette. Et j’adorais cela.

Chez moi, personne n’allait se coucher avant minuit. Mes parents restaient là à regarder la télévision, à lire, à travailler un peu ou même s’attardaient aux tâches domestiques. Ma sœur, c’était plus ou moins la même chose. Aussi l’appartement n’était-il qu’un défilé incessant de quatre personnes, et il ne me restait qu’à me jeter dans un coin pour lire en attendant que tout le monde se mette au lit une bonne fois pour toutes. Alors arrivait pour moi le moment d’écrire. L’après-minuit. Le silence. Aujourd’hui cela me fait rire, car ce qui pour moi était un moment de calme impérial devait, pour ma famille, et même pour nos voisins d’immeuble, être un vacarme à tout rompre : j’écrivais à l’époque à la machine à écrire. Et cet artefact, que les nouvelles générations connaissent à peine, produisait un tapage épouvantablelorsque les touches frappaient le cylindre, quelque chose qui ressemblait à un "tac tac tac" continu jusqu’à ce que retentisse le "cling" de la sonnette indiquant la fin de la ligne, après lequel il fallait faire rouler le cylindre, "crcrcrcrcrcr", pour pouvoir continuer à écrire et revenir au "tac tac tac" du début. La cadence du "tac tac tac" dépendait de l’inspiration, en l’occurrence de mon inspiration. Si j’écrivais une nouvelle dans laquelle l’action déferlait incontrôlable et où le personnage me laissait à peine le temps de le suivre, alors le "tac tac tac" était énergique et très véloce. Et si, au contraire, j’étais dans un de ces moments de doute, ne sachant que faire de mon histoire, les "tac tac tac" s’espaçaient, s’espaçaient tant qu’ils pouvaient parfois donner l’impression, à qui s’efforçait de dormir de l’autre côté, que l’oeuvre avait été terminée, jusqu’à ce qu’on entende à nouveau le "cling" de fin de ligne et que tout recommence. J’ignore si mes voisins étaient particulièrement contents d’avoir dans leur immeuble un écrivain en devenir, mais je ne me risquerai pas à aller le leur demander.

Cela fait maintenant plus d’un mois que je suis à Vincennes. Ici, il n’est pas besoin d’attendre le milieu de la nuit pour trouver le silence. Au début, cela me paraissait étrange. Peut-être est-ce ma nature caribéenne, mais ce qui est certain, c’est que l’excès de tranquillité, quand il est trop fréquent, m’effraie. Comme c’est curieux ! Je déambule chez moi, j’écris, je lis, dehors le soleil se lève, la pluie tombe, puis le soir. Et le silence est toujours là. Quelquefois, au cœur de la nuit, j’en parle à Horacio et lui, qui a toujours été un chat très intelligent, me regarde de ses yeux dorés, se tapit puis se met à courir comme un fou en miaulant de sa plus grosse voix, on croirait presque un tigre. Et moi, je lui cours après en essayant de le faire taire. SSSSS. Il se cache sous la table puis s’échappe en courant entre mes jambes. SSSS. Il bondit tout en criant. On entend le bruit de ses pattes sur le parquet, "tac tac tac", et soudain je crois entendre comme un "cling". Horacio se couche à terre, dresse la tête et me regarde à nouveau de ses yeux intensément dorés, tandis que sa respiration s’apaise peu à peu. Moi, je souris. Je lui caresse la tête et lui murmure qu’il est le plus beau chat du monde. Puis je m’assois pour écrire. Je sais à présent que je vais travailler toute la nuit.

Traduction : Thomas Steinmetz

Texto en español

La relatividad del silencioKarla Suárez

Cuando yo era muy jovencita tomé por costumbre escribir de noche. La madrugada era la hora de los gatos y mía, porque era el único momento de la jornada donde reinaban la calma y el silencio. Decir silencio en una isla caribeña es como hablar en otro idioma. Sólo la madrugada tenía ese privilegio. Todo el mundo dormía en casa, no se escuchaba la música de los vecinos en el edificio, nadie gritaba por las calles, no sonaban las bocinas de los autos. La madrugada era ese raro espacio de tiempo donde la ciudad parecía otra cosa. Estaba congelada. Muda. Y a mí me encantaba.

En casa nadie se iba a dormir nunca antes de medianoche. Mis padres se quedaban viendo televisión, leyendo, preparando algo del trabajo o hasta haciendo labores domésticas. Mi hermana, más o menos lo mismo. Así que el apartamento era un ir y venir de cuatro personas y a mí me tocaba tirarme a leer mientras esperaba que todos acabaran de acostarse de una vez. Entonces llegaba mi hora de escribir. La madrugada. El silencio. Ahora me da risa, porque eso que para mí era un momento de perfecta calma, para mi familia e, incluso, para los vecinos del edificio, debía de ser un auténtico dolor de cabeza, porque en ese tiempo yo escribía a máquina de escribir. Y ese artefacto, que las nuevas generaciones apenas si conocen, producía un tremendo ruido al golpear las teclas sobre el rodillo, algo así como un “tac tac tac” continuado hasta que sonaba una campanita “clin” que indicaba el fin de la línea y entonces había que mover el rodillo para seguir escribiendo “trtrtrtrtrt” y volver al “tac tac tac” del principio. La velocidad del “tac tac tac” dependía de la inspiración, en este caso de mi inspiración. Si estaba escribiendo un cuento donde todo se desbordaba y el personaje apenas me daba tiempo de seguirlo, entonces el “tac tac tac” era enérgico y muy apresurado. Y si, por el contrario, estaba en esos momentos de duda, de no saber qué hacer con la historia, entonces los “tac tac tac” eran distantes, tan distantes que a veces podían dar la impresión a quien intentaba dormir del otro lado que la obra había sido terminada, hasta que se escuchaba nuevamente el “clin” de fin de la línea y todo volvía a empezar. No sé si mis vecinos estaban muy contentos de tener en el edificio a un proyecto de escritora, pero nunca me atreveré a preguntárselos.

Ahora, hace más de un mes que estoy en Vincennes. Aquí no hay que esperar la madrugada para encontrar el silencio. Al principio eso me resultaba extraño. Será por mi naturaleza caribeña, pero lo cierto es que el exceso de calma con frecuencia me asusta. ¡Qué curioso! Yo deambulo por la casa, escribo, leo, afuera sale el sol, cae la lluvia, llega la oscuridad. Y siempre está el silencio. A veces, de madrugada, lo converso con Horacio y él, que siempre ha sido un gato muy inteligente, me mira con sus ojos amarillos, se agacha y de repente echa a correr como un loco dando maullidos con un vozarrón fuerte que casi parece un tigre. Yo lo persigo intentando que se calle. SSSS. Él se mete bajo la mesa y se escapa corriendo entre mis piernas. SSSS. Él da un salto a la vez que grita. Sus patas suenan contra el piso “tac tac tac” y de repente siento como un “clin”. Horacio se tira al piso, yergue la cabeza y vuelve a mirarme con sus ojos intensamente amarillos, mientras su respiración se va calmando. Yo sonrío. Le paso la mano por la cabeza susurrándole que es el gato más lindo del mundo. Y me siento a escribir. Ahora ya sé que voy a trabajar durante toda la noche.