Avant que je ne parte de chez moi il y a quelques semaines, je n’avais jamais eu de vraie valise. J’ai voyagé, mais toujours avec une certaine réticence, pour le travail, ou alors dans des conditions difficiles, dont la dureté même était tout le but de l’aventure.

Chez moi, à Portland, dans l’Oregon, ma cave est un musée encombré de toutes sortes de bagages spécialisés, depuis les sacs à dos jusqu’aux sacs polochons en toile en passant par une malle de paquebot, héritée d’un oncle il y a longtemps. Au début de mes préparatifs pour mon séjour à Vincennes, je les ai envisagés, les uns après les autres, mais aucun ne semblait convenir vraiment aux circonstances. Le fait que je n’aie jamais eu de vraie valise est un indice du genre de vêtements que je porte – jeans, T-shirts, tennis ou boots – et aussi de ce à quoi on s’attend quand j’arrive à destination. C’est peut-être différent en France, mais en Amérique, personne ne s’attend à ce que l’écrivain soit l’homme le mieux habillé de la pièce. On trouve déjà bien beau qu’il soit là.

Je ne savais même pas vraiment où acheter une valise. Je suis d’abord allé dans des magasins d’occasions, chez l’Emmaüs américain, et à l’Armée du Salut, mais les valises empilées au hasard des étagères étaient si pourries et si peu solides, si rompues et si tristes, que j’ai pensé que j’allais jeter un sort sur tout mon séjour en France, à importer les espoirs fanés d’autres gens, à faire passer la douane à tout un chargement de déceptions passées comme à un microbe. En désespoir de cause, j’ai appelé une amie, en menaçant de fourrer mes T-shirts, mes chaussettes et mes sous-vêtements dans un terne sac de marin kaki, et qu’on n’en parle plus. Il avait appartenu à mon frère à l’époque où il était chez les Marines, et l’avantage de ce vilain sac, c’est qu’il est si grand que je pourrais y entasser en gros tout ce que je possède. Mon amie a répondu que ce ne serait pas très sage de l’emporter – elle a carrément dit « Ne sois pas idiot ! » – et a suggéré que je me déplace jusqu’au centre commercial. En Amérique, le centre commercial, c’est la réponse magique à toutes sortes de désespoirs. Et cela relève presque de la conviction religieuse que de dire qu’on trouve tout au centre commercial, ce qui, j’en suis sûr, explique ces hordes d’individus désemparés qui déambulent, perdus et solitaires et passent la journée dans ces lieux sans espoir.

Il est peut-être temps de signaler que je déteste le shopping et que je suis parti en quête d’une valise neuve au dernier moment, la veille de mon départ. Deux semaines plus tôt, j’avais empaqueté mon vélo dans un grand carton, et avec cette corvée rayée de la liste, j’avais l’impression que la tâche la plus importante de mon voyage était accomplie. Après ça, j’ai traîné, je n’ai rien fait au fur et à mesure que le nombre de jours s’amenuisait, à part laver, plier et empiler mes vêtements ; je les avais placés en jolies piles sur le lit, jusqu’à ce que la panique me prenne. C’est mon beau-père, ingénieur chimiste, qui m’a remis sur le droit chemin lorsque je lui ai passé un coup de fil depuis le centre commercial. Il m’a expliqué que je commettais une erreur courante, qui consistait à penser que puisque je partais pour longtemps, j’aurais besoin d’une immense valise. Au contraire. Plus le séjour durait longtemps, plus la valise pouvait être petite, puisque je pourrais laver mes vêtements, m’acheter ce dont j’aurais besoin, et d’une manière générale vivre comme à la maison. N’oublie pas ça, m’a-t-il dit, n’oublie pas de vivre !

J’ai trouvé une petite valise, raisonnable, et cet espace modeste a transformé la préparation des bagages en plaisir inattendu. J’ai tapissé le fond de livres, puis ai disposé mes T-shirts, mes pantalons et un manteau bien pliés pardessus. Dans les pochettes tout autour, j’ai rangé les cartouches d’encre de mon stylo-plume préféré, et plusieurs petits blocs-notes, un pour chaque mois de mon séjour à Vincennes. J’ai emporté mon vélo, bien sûr, et une vieille machine à écrire ainsi qu’un ordinateur portable dans mon bon vieux sac à dos qui me suit depuis des jours et des jours. C’était un exercice intéressant, de réduire ma vie aux dimensions d’une valise, de façon à découvrir la valeur des choses. Je n’aime pas être mal à l’aise, ou mettre les autres dans l’embarras, ce qui rendait indispensable la valise, ne serait-ce que parce que je serais peut-être amené à porter une belle chemise et une cravate, mais à part ça, les seules choses qui comptaient vraiment étaient mes instruments de travail, qui après tout sont très simples. En un rien de temps, m’a-t-il semblé, j’étais arrivé, et pour mon tout premier après-midi à Vincennes, avant même d’avoir débarrassé ma valise, j’ai fait une promenade jusqu’à une petite place près de mon appartement, rue de la Jarry, et je me suis assis sur un banc au soleil. Il y avait des roses jaunes et rouges en pleine floraison contre un mur, les pierres dégageaient une agréable chaleur, et une dame âgée se réchauffait les os, assise à côté de moi.

Charles D’Ambrosio, octobre 2009 Traduction : Dominique Chevallier.

Suitcase

Before leaving home several weeks ago, I had never owned a proper suitcase. I’ve traveled, but always rather reluctantly for work or under rough conditions where the hard‐going was the whole point of the adventure. At home, in Portland, Oregon, my basement is a museum cluttered with every kind of specialized baggage, from backpacks to canvass duffles to an old steamer trunk I inherited long ago from an uncle, and in preparing for my stay in Vincennes I considered each, but none seemed quite appropriate for the situation. That I’ve never owned a real suitcase tells you something about the kinds of clothes I wear –t‐shirts and jeans, tennis shoes and boots—and what has been expected of me when I arrive at my destination. While it may be different in France, in America no one expects the writer to be the best dressed man in the room. That he shows up at all is more the surprise.

I wasn’t even sure where to purchase a suitcase. First I went to second‐hand stores, to the Goodwill and The Salvation Army, but the suitcases piled on their haphazard shelves were so rotten and flimsy, so broken and sad, that I felt I might be jinxing my whole sojourn in France by importing the faded hopes of other people, carrying a load of past disappointments through customs like a germ. In a fit of despair I called a friend and threatened to stuff my t‐shirts and socks and underwear in an olive drab duffle bag and be done with it. The duffle belonged to my brother, back when he was in the Marine Corps, and the advantage of that ugly bag is that it’s so big just about everything I own can be stuffed into it. My friend suggested that it would be unwise to bring the bag–she actually said: “Don’t be stupid!”—and that I should make a trip to the shopping mall. In America, the shopping mall is the magical answer to every manner of despair. It’s nearly a matter of faith, that there’s nothing that can’t be found in the mall, which I’m sure explains the bewildered hordes of lost and lonely stragglers who spend their days in these desperate places.

Perhaps now is the time to mention that I dislike shopping and that I was searching for a new suitcase at the last possible moment, the day before my departure. Two weeks earlier I had boxed up my bike, and with that chore crossed off the list, I felt as if the most important task of the trip were completed. After that, I slacked off, did nothing as the days dwindled down, except to wash and fold and stack my clothes, staging them in piles on the bed, until panic set in. It was my stepfather, a chemical engineer, who set me right, when I called him from the mall. He told me that I was making a common mistake, to think that because I’d be gone for a long time that this also meant that I would need a huge suitcase, when in fact the opposite was true. The longer the trip, the smaller the suitcase, he said, because I would be able to wash clothes, purchase necessary items and, in general, live as I would at home. Don’t forget that, he said –don’t forget to live !

I found a small, reasonable suitcase and the modesty of the space made packing an unexpected pleasure. I lined the bottom with books, and then arranged my neatly folded shirts, trousers and a suit coat on top. In the tiny pockets along the perimeter I stowed ink cartridges for my favorite fountain pen and several small notebooks, one for each month of my stay in Vincennes. I brought my bike, of course, and carried an old manual typewriter and a laptop in a trusty rucksack that has seen me through thousands of days. It was an interesting exercise, to reduce my life to the dimensions of a suitcase, in order to discover value. I don’t like to embarrass myself or others, which made the suitcase a necessity, if only because a nice shirt and tie might be necessary, but beyond that all that really mattered were the tools of my trade, which are, after all, very simple. In no time, it seemed, I had arrived, and my very first afternoon in Vincennes, even before I unpacked, I walked to a small square near my apartment on Rue de la Jarry and sat on a bench in the sun. Yellow and red roses bloomed against a wall, and the stones held a lovely heat, and an elderly woman warmed her bones on the seat beside me.