ENQUÊTE - LOGEMENT SOCIAL, DENSITÉ - RÉALITÉS VS LÉGENDES URBAINES
29/03/2023

Vincennes doit à la fois se doter de nouveaux logements sociaux au titre de la loi SRU, et veiller à ne pas accroître sa densité ainsi qu’à protéger ses sols et son patrimoine végétal. Une quadrature du cercle exigeante et complexe, souvent mal comprise

12,01 %, c’est le taux de logements sociaux à Vincennes au 1er janvier 2022.

Le fruit d’une politique volontariste qui vise à faire réaliser des opérations de qualité, de taille moyenne, souvent mixtes et intégrées dans le tissu urbain, et grâce à laquelle Vincennes, depuis de nombreuses années, n’est pas soumise au paiement de pénalités. Mais à chaque opération de création de logements sociaux, la même accusation mâtinée de crainte s’exprime, évoquant les risques d’une prétendue densification ou d’une « bétonnisation ». C’est là un pur procès d’intention puisque, en dehors de la création du quartier du Domaine du Bois il y a vingt ans, la population vincennoise n’augmente que faiblement ; et que parallèlement, la Ville s’est dotée d’outils pour protéger ses espaces verts, le patrimoine arboré, et lutter contre l’artificialisation des sols.

Comment la Ville crée des logements sociaux

Les projets de construction doivent rester financièrement viables pour être portés : c’est pourquoi la plupart ne comptent pas 100 % de logements sociaux.

Cela permet aux opérations lancées de rester financièrement équilibrées dans un contexte marqué par la cherté du foncier : le prix du mètre carré à Vincennes étant l’un des plus élevés d’Ile-de-France, toute opération est très coûteuse et donc complexe à financer. Ce d’autant que la loi ALUR du 24 mars 2014 proposée par la ministre écologiste Cécile Duflot avait généré un appel d’air auprès des pro- moteurs en favorisant la densification, faisant mécaniquement monter le prix du foncier. La construction de nouveaux immeubles étant rarement possible, la Ville agit par transformation des logements existants en logements sociaux, en partant prioritairement des logements à loyer dit 1948, ou des ensembles dégradés. Et l’on oublie un peu vite que, sans intervention de la Ville, rien n’empêcherait un promoteur de remplacer une maison par un immeuble de logements, sans bénéfice social.

Loi SRU, pourcentages et sanctions Mais il est impossible d’atteindre dans une ville déjà construite les 25 % fixés par la loi SRU. Pour la période 2017-2019, la Commission Nationale du Logement avait reconnu que Vincennes ne pouvait pas tenir son objectif théorique, et que l’État ne pourrait faire mieux. Vincennes n’a pas été considérée en carence, évitant ainsi deux types de sanctions : – financières (une amende de l’ordre du million d’euros) ; – juridiques : si l’État prend la compétence urbanisme, la Ville ne maîtrise plus les aspects architecturaux, les typologies d’immeubles et les équilibres urbains qui concourent au cadre de vie...

Pour atteindre ce chiffre, la Ville mobilise tous les outils juridiques, tout en veillant à préserver l’aspect et la qualité de la commune :

  • règles du Plan local de l’urbanisme ;
  • emplacements réservés : des parcelles où la Ville compte créer des logements sociaux le jour où le propriétaire est vendeur. La répartition des emplacements réservés a été retenue en fonction de l’utilité qu’ils pouvaient présenter selon des critères objectifs pour permettre la réalisation de logements sociaux. Ces choix sont dépendants du coût du foncier et de l’équilibre financier potentiel des opérations de construction de logements sociaux ;
  • droit de préemption renforcé ;
  • redynamisation de la Vincem, société d’économie mixte de la Ville ;
  • convention avec l’Établissement public foncier d’Île-de-France, partenariats avec des opérateurs de logements sociaux ;
  • vote de garanties d’emprunt et de subventions pour surcharge foncière ;
  • programme local de l’habitat, programme social thématique...
  • les expropriations sont une exception, et ne concernent que des immeubles vides ou insa- lubres, ou des locaux qui n’étaient pas à usage d’habitation.

Les contraintes propres à Vincennes ont été reconnues par la Commission Nationale du Logement, qui a estimé que Vincennes, même en mobilisant tous les outils disponibles, ne pouvait pas atteindre son objectif théorique, et que l’État ne pourrait faire mieux. Cette même commission a régulièrement félicité Vincennes pour son engagement et ses efforts pour réaliser des projets de logements sociaux.

Sur 43 emplacements réservés dans la version précédente du PLU, 23 avaient donné lieu à des acquisitions, que ce soit par la Ville ou par un acteur du marché. Elles ont permis de créer 474 logements sociaux.

Densité

Vincennes compte aujourd’hui 49 697 habitants.

C’est moins qu’en 1962 : on dénombrait alors 50 436 Vincennois. Le Projet d’Aménagement et de Développement Durable du PLU vincennois fixe pour objectif de maintenir le niveau de population. Cette orientation a pour but d’éviter une densification supplémentaire de la ville et une saturation de ses équipements et de ses espaces publics.

LUTTER CONTRE L’ARTIFICIALISATION DES SOLS Un principe prioritaire dans une ville déjà entièrement construite

La prise en compte des fonctions des sols dans le projet de développement du territoire s’impose comme un véritable enjeu, notamment en matière de lutte contre le réchauffement climatique. La priorité est donc d’éviter l’artificialisation des sols. Dans cette optique, la Ville multiplie les me- sures, comme l’enherbement des espaces publics, la construction de cours végétalisées dans les groupes scolaires ou encore de toitures végétalisées sur les bâtiments publics. Dans le cadre des programmes de logement sociaux, elle prend également en compte cette notion. « Le PLU est extrêmement protecteur des cœurs d’îlot végétaux. À chaque fois que possible, la Ville accompagne la construction de logements par la création d’espaces verts de proximité : des jardins sont ainsi prévus dans les projets 122-124, rue de la Jarry ou 19, avenue Franklin-Roosevelt ; de nouveaux jardins sont aussi créés à la place de constructions, comme ce sera le cas au 100 bis, rue de Fontenay », rap- pelle Charlotte Libert-Albanel. « La Ville, quand elle acquiert un bien pour réaliser des opérations de mixité urbaine, construit en tenant compte de l’environnement et du voisinage. En l’absence de foncier disponible, et avec le souci de protéger les sols naturels, il n’existe pas d’autre solution pour créer des logements sociaux que de construire verticalement, mais toujours à une hauteur intégrée dans le reste de l’environnement du quartier. Certes, toute opération paraît toujours trop haute ou trop dense – mais en réalité beaucoup moins que si l’opération était laissée libre à un promoteur. L’une des différences entre la Ville et un promoteur est que pour nous, le PLU n’est pas une simple limite mais un cadre », poursuit le maire de Vincennes.

Zéro Artificialisation Nette (ZAN) est un objectif fixé pour 2050, issue du Plan national Biodiversité de 2018. Il demande aux territoires, communes, départements, régions de réduire de 50 % le rythme d’artificialisation et de la consommation des espaces naturels. À Vincennes, ville entièrement construite depuis des décennies, cela se traduit par une politique de désimperméabilisation des sols sur l’espace public, et par l’attention portée à la protection des cœurs d’îlot.

Un Plan local d’urbanisme protecteur

La modification du PLU adoptée le 5 juillet 2022 est venue renforcer la protection des espaces verts et du patrimoine arboré communal, et en conséquence limiter la densification. Il a été choisi de renforcer la qualité écologique des espaces verts par la création d’un coefficient minimal de biotope par surface de 0,2 (CBS), et d’imposer un minimum de surface éco-aménagée de 5 % (surface au sol favorable à la biodiversité). En outre, 250 arbres dans le domaine privé (74 arbres isolés et 27 groupements d’arbres) ont été jugés « remarquables » (au titre du L 151-23 du Code de l’urbanisme). Les dispositions règlementaires du PLU visent à les protéger : retrait de 3 m minimum des futures constructions, restriction des exhaussements, délais et remblais dans le périmètre racinaire, ce qui limite la constructibilité aux abords des arbres protégés. Quant au volet patrimonial, l’inventaire des architectures remarquables recense plusieurs dizaines de maisons de ville et villas protégées, qu’elles soient isolées ou fassent partie d’ensembles cohérents.